http://www.remnantnewspaper.com/Archives/archive-2006-0430-tissier.htm ou
http://truerestoration.blogspot.com/2006/04/my-interview-with-his-lordship-bishop.html (source)
Interview de Mgr Bernard Tissier de Mallerais
Téléchargeable sur www.virgo-maria.org
« …Il [Ratzinger] a professé des hérésies ! …il n’a jamais rétracté ses erreurs… il a publié un ouvrage empli d’hérésies… Or, ce livre est bourré d’hérésies, notamment la négation du dogme de la Rédemption… C’est pire que du Luther, bien pire… Il a jeté des doutes sur la divinité du Christ, sur le dogme de l’Incarnation… »
« Je ne sais ce qu’il [Mgr Lefebvre] pensait de cette question. Il ne connaissait pas le nouveau rite de consécration épiscopale. Il n’avait rien étudié ni lu à ce sujet. Car lui-même se bornait à continuer d’appliquer l’ancien rite. »
« L’Église devra effacer ce concile […] L’oublier, oui. En faire table rase (tabula rasa) »
Mgr Tissier de Mallerais, le 21 avril 2006, Etats-Unis (publié par The Remnant)
Dimanche 30 avril 2006
Transcription de l’interview que m’a accordée Mgr Bernard Tissier de Mallerais, de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X (pour la version imprimée de The Remnant)
On trouvera ci-dessous le texte intégral de mon interview (une dizaine de pages), que j’ai établi pour l’édition de The Remnant du 30 avril 2006. Je tiens à remercier particulièrement les prêtres et les frères de la Fraternité qui, en Amérique et en Europe, ont rendu cette interview possible grâce à leur aimable coopération, ainsi que Michael Matt, qui en a autorisé la publication en ligne au moment même où elle paraît sous forme imprimée.
À la fin de ce long texte, on trouvera des liens vers les articles qui le commentent.
Alors même que nous mettons sous presse, le numéro d’avril de The Angelus publie le texte intégral et non édité de la conférence donnée par Mgr Bernard Fellay en février, que j’ai évoquée brièvement une première fois ici, ici et ici, avec des corrections et l’approbation de Monseigneur.
http://truerestoration.blogspot.com/2006/04/responses-to-interview-with-his.html
Interview de Monseigneur Mgr Bernard Tissier de Mallerais
Colton, Californie, le 21 avril 2006
Stephen L.M. Heiner
Pour The Remnant
Je n’avais rencontré Mgr Bernard Tissier de Mallerais qu’une seule fois auparavant, en 1997, lors de l’ordination de l’abbé Frank Kurtz. Le sachant féru de droit canon, je lui avais alors posé quelques questions sur la nature « intrinsèquement perverse » de la nouvelle messe. Il avait bien voulu me consacrer une partie de son temps et m’avait brièvement exposé ses idées sur la question. Sa courtoisie et sa gentillesse m’avaient frappé, d’autant plus que je venais de lui voir célébrer la messe avec une précision et une sainteté telles que j’en avais rarement vu l’équivalent.
J’ai exprimé le désir d’interviewer Monseigneur à Michael Matt, qui m’a autorisé à le « pourchasser ». Bien que je ne sois pas européen et que mon français et mon allemand soient, au mieux, très sommaires, j’ai fini par le trouver à Écône (il était 2 heures du matin en Californie alors quand on était au milieu de la matinée en Suisse ; j’étais donc fatigué, et de plus, mon français est exécrable), et il m’a permis de le rencontrer à Colton, où il devait se rendre pour des confirmations. J’ai enregistré personnellement l’interview, qui a duré environ quarante-cinq minutes.
Monseigneur a vérifié le texte ci-dessous quant à la précision de la forme et du fond. Il en a approuvé la totalité aux fins de publication. Je préfère employer le titre « Your Lordship » (Monseigneur) que le titre plus contemporain « Your Excellency » (votre Excellence), et c’est pourquoi on retrouvera le premier partout dans le texte.
S.H. : Monseigneur, l’agence Zenit a publié le 7 avril un texte contenant certaines déclarations des évêques français sur la fin de leur assemblée plénière :
« La vérité nous impose d’exprimer clairement nos sujets de désaccord. Plus que sur des points de liturgie, ce désaccord porte sur l’acceptation du Magistère, en particulier celui du deuxième concile du Vatican et des papes des dernières décennies. La Communion peut s’accompagner de questions, de demandes de précision ou de réflexion complémentaire. Mais on ne saurait tolérer un rejet systématique du Concile, une critique de ses enseignements ou un dénigrement de la réforme liturgique décrétée par lui. »
En outre, le site Internet AngelQueen.org a publié dernièrement une «interview exclusive» de Mgr Rifan, du diocèse de Campos. Dans le texte de cette interview, Mgr Rifan déclare (par l’intermédiaire d’un subordonné) que la communion dite essentiellement «pratique» et «effective» avec le rite romain est démontrée par la concélébration dans le Novus Ordo, et il cite à cet égard le canon 541.
Que répondriez-vous à ces commentaires sur la «communion» en tant qu’évêque du rite romain reconnaissant la validité de l’élection de Benoît XVI ?
Mgr : Tout d’abord, je ne suis pas au courant de ce texte. Je ne l’ai pas lu. Cela ne m’intéresse pas, je ne suis pas ce genre de nouvelles. Ce n’est pas le problème qui se pose ici. Le problème, ce n’est pas la «communion», qui correspond à l’idée stupide entretenue par ces évêques depuis Vatican II. La communion n’est pas ce qui pose problème ; ce qui pose problème, c’est la profession de la foi. La «communion» n’est rien, c’est une invention du concile Vatican II. L’essentiel, c’est que ces gens (les évêques) n’ont pas la Foi catholique. La «communion» ne signifie rien à mes yeux, ce n’est qu’un slogan de la nouvelle Église. La définition de la nouvelle Église est la «communion», qui n’a jamais été une définition de l’Église Catholique. Je ne puis vous fournir que la définition de l’Église telle qu’on la comprenait traditionnellement.
S.H. : Quelle est cette définition, Monseigneur ?
Mgr : L’Église est la société visible de ceux qui sont baptisés, qui professent la foi catholique et qui se soumettent au Pontife romain. Ces trois éléments sont essentiels et nécessaires et représentent tout ce qui compte selon moi ; la «communion» n’a aucune valeur à mes yeux.
Si j’ai quelque chose d’important à vous dire, c’est bien que ces gens ont perdu la Foi, surtout la foi dans le mystère et le dogme de la Rédemption. Car ainsi que vous le savez, le concile Vatican II n’a pas un dit un mot de la Rédemption. La réforme liturgique, c’est un fait, a complètement falsifié le mystère de la Rédemption.
S.H. : Le Saint-Père a beaucoup travaillé sur ce concile en tant que théologien. Vous le connaissiez quand il était encore cardinal, en 1988, et je sais qu’à l’époque, vous aviez eu affaire à lui de très près dans le cadre des «négociations». Vous avez eu l’occasion de l’observer pendant plus d’un an (on fêtait il y a quelques jours le premier anniversaire de son élection) : y a-t-il eu un changement dans ses paroles, ses actions ou son ton depuis qu’il est devenu pape ?
Mgr : Je le connaissais pour être un négociateur cherchant à nous réconcilier avec l’Église conciliaire et à nous y réintroduire. Je voyais en lui un homme intelligent et intéressé par ce projet de «réintégration». Nous avons esquivé ses initiatives. Mais à présent, je considère qu’il est le pape, oui, le pape, et qu’il est investi de grâces spéciales. Pourtant, il ne se sert pas de ces grâces, car il ne fait rien pour l’Église. Il est en place depuis un an, et il n’a rien fait !
S.H. : On a dit qu’il éprouvait une certaine culpabilité à propos de 1988, car extérieurement, il semble «combattre» pour la Fraternité. Pensez-vous que ce soit exact ?
Mgr : Il était honnêtement persuadé que nous étions hors de l’Église et qu’il avait le devoir de nous y réintroduire. Une telle idée était ridicule, bien entendu, car nous ne sommes pas hors de l’Église et nous ne l’avons jamais été. C’était son grand désir (la réconciliation). Ces événements ont eu lieu quelques mois avant ma consécration épiscopale. Mais maintenant, c’est lui qui est pape ! Il doit faire quelque chose pour l’Église ! Or, il ne fait rien !
S.H. : Donc, vous ne lui avez rien vu accomplir de concret, Monseigneur ?
Mgr : Non, rien.
S.H. : Au cours du récent consistoire, il a accru le poids électoral de l’Europe au détriment des autres parties du monde. On dit qu’il veut que l’Europe reprenne les rênes de l’Église. Mais l’Europe est infectée par la montée de l’islam. Nous sommes très mal placés, en Amérique, pour observer l’islam militant, car il n’y a chez nous qu’une très petite minorité de musulmans. Compte tenu des récentes émeutes et de l’article publié par Dici en février au sujet de la montée de l’islam en Europe, que pouvez-vous dire de l’état de l’Église en Europe ? Est-elle prête à « prendre les rênes » ?
Mgr : Cette question concerne non pas Benoît XVI, mais les gouvernements européens, qui permettent à l’islam de se développer sans freins. Le gouvernement français, par exemple, invite pratiquement les musulmans à venir en France. Il prétend contrôler leur religion et adopte à cette fin lois et règlements. Les évêques ne voient pas le danger ; en fait, ils ne sont pas cohérents. D’un côté, ils voient ce danger et refusent de donner des églises aux musulmans pour que ceux-ci en fassent des mosquées ; de l’autre, ils disent que chrétiens et musulmans doivent se réconcilier, qu’il n’existe pas de différence entre la religion des uns et celle des autres, et que l’islam est une religion très « tolérante ». Ils sont donc en complète contradiction avec eux-mêmes.
S.H. : Diriez-vous que cette attitude est partagée par les évêques d’Allemagne, de France et de Suisse, qu’il n’y a pas de différence entre les pays ?
Mgr : Je ne vois pas la moindre différence. Ils sont tous parfaitement incohérents. Ils voient le danger, parce qu’ils vont être contraints (en vertu de la législation française relative aux édifices publics) de céder des églises vides aux musulmans. Mais à côté de cela, ils disent que l’islam est une religion très bonne et très tolérante.
S.H. : Le « projet européen » de Benoît XVI se heurte donc à de nombreux obstacles. Vous avez dit qu’en son temps, vous aviez vu agir l’actuel Saint-Père en tant que négociateur. Mgr Fellay l’a présenté dernièrement comme très attaché au Concile. Quelles sont les principales idées de ce pape qui détonent avec la Tradition ?
Mgr : La collégialité, par exemple. Il veut gouverner l’Église avec les évêques, avec les cardinaux. Il se rend donc incapable de gouverner l’Église. C’est évident, car il est pape depuis un an et il n’a rien fait !
[Monseigneur a déjà tenu ces propos à deux reprises, mais je remarque que sur cette question, il les tient avec plus de véhémence. Il poursuit…]
La collégialité le paralyse. C’est cela même : la collégialité paralyse le pape.
S.H. : Et il veut être paralysé ?
Mgr : Oui, il y croit (à la collégialité) !
S.H. : En ce qui concerne l’œcuménisme, on dit qu’il n’a pas été content d’Assise…
Mgr : L’œcuménisme, c’est une autre chose, en effet, et l’on a dit qu’il méprisait Assise, mais nous ne sommes pas certains que ce soit vrai. De plus, il s’est déjà rendu à maintes reprises dans des synagogues, avec les Juifs, alors… Ce n’est pas clair… car il a une inclination pour la religion juive.
S.H. : N’a-t-il pas restreint l’indépendance dont jouissent les franciscains à la basilique (d’Assise) ?
Mgr : Si, mais c’est secondaire.
S.H. : Lorsque j’ai eu Mgr Fellay au téléphone pour me faire préciser par ses soins ce qu’il avait déclaré à sa conférence de Denver, je lui ai dit que j’avais retranscrit ceci (n’ayant pas enregistré la conversation) : «Il (Benoît XVI) pense que la laïcité est le mode d’existence préféré dans la vision catholique de l’organisation sociale». Mgr Fellay m’a corrigé pour que j’écrive «est le seul mode d’existence…». N’est-on pas là en présence des «trois grands thèmes», à savoir la collégialité, l’œcuménisme et la liberté religieuse ? N’est-il pas entièrement acquis à ces idées ?
Mgr : Si, il est acquis à ces trois erreurs. Pour ce qui est de la liberté religieuse, il est presque exactement sur la même longueur d’ondes que Jean-Paul II. Comme lui, il est convaincu qu’aucun gouvernement ne peut être catholique, qu’aucun gouvernement ne peut reconnaître Jésus-Christ comme vrai Dieu. Bien entendu, c’est contraire à l’enseignement catholique, très précisément à celui que le pape Pie XI a donné dans Quas Primas.
S.H. : Oui, et le Syllabus…
Mgr : Oui, mais le Syllabus, c’était dans les années 1860, alors que Quas Primas, c’était en 1925 ; ce n’est donc pas si vieux, pas si dépassé, comme ils diraient.
S.H. : Monseigneur, outre son éventuel sentiment de culpabilité par rapport à 1988, on dit que Benoît XVI se sent coupable vis-à-vis de Fatima. Vous-même et vos trois confrères dans l’épiscopat vous êtes rendus à Fatima pour y accomplir un acte de réparation… Que pouvez-vous dire du silence persistant au sujet de Fatima, qui remonte à l’époque du pape Pie XII ?
Mgr : Je ne peux rien dire à ce sujet. Fatima, c’est une révélation privée. Pardonnez-moi, mais je n’en parle pas.
S.H. : J’ai quelques autres questions personnelles à vous poser. J’ai lu dernièrement votre biographie de Mgr Lefebvre. Vous l’avez très bien connu. Avez-vous eu des surprises en effectuant vos recherches pour écrire cet ouvrage ?
Mgr : Ma principale surprise a été la grande affection et le grand respect que tous ces pères progressistes éprouvaient à son égard, y compris s’ils n’étaient pas d’accord avec lui : c’est vraiment sidérant. Ils le respectaient énormément pour sa personnalité chrétienne, catholique. Tous en ont témoigné lorsque je les ai rencontrés : ils l’aimaient, quand bien même ils ne le comprenaient pas. Car en fait, ils ne parvenaient pas à faire cadrer sa gentillesse, sa charité, sa franchise avec sa force dans la Foi. Cela, ils en étaient incapables.
S.H. : Puisqu’ils percevaient la personnalité chrétienne de Mgr Lefebvre, comment ne comprenaient-ils pas ses conclusions chrétiennes ?
Mgr : Parce qu’ils étaient libéraux, ils ne pouvaient comprendre qu’un homme puisse être à la fois si aimable et si fort.
S.H. : On sait que c’est Mgr Lefebvre qui vous a consacré évêque. Et vous voici proche du dix-huitième anniversaire de votre consécration. Que pensiez-vous de l’épiscopat, ou plutôt à quoi ne vous attendiez-vous pas en juin 1988 ?
Mgr : Ce qui me surprend beaucoup, c’est que la crise de l’Église dure depuis si longtemps. Quelques années après ma consécration, nous priions pour que le Seigneur nous envoie un pape vraiment catholique, un saint pape catholique, et dix-neuf ans après, nous voilà dans la même situation qu’alors. C’est extrêmement décevant. La crise s’éternise, et nous devons poursuivre le combat. C’est très difficile, non pour moi, mais surtout pour les fidèles. Il faut leur donner du courage, les inciter à tenir bon, à ne pas se lasser. Nous devons continuer le combat.
S.H. : Votre rôle d’évêque vous amène donc à voyager dans le monde entier pour visiter les fidèles. Que remarquez-vous de commun à nous autres, de la Tradition ?
Mgr : Je crois que c’est une grande estime pour les familles nombreuses catholiques. Voilà ce qu’il y a de commun : la grâce du mariage chrétien et le désir d’avoir beaucoup d’enfants. Nos fidèles comprennent que l’avenir de l’Église et celui de leur foyer sont centrés sur un mariage fécond. Et c’est là une grâce de Mgr Lefebvre, avec la sainte Messe, car c’est cela qu’il prêchait.
S.H. : Monseigneur, le Chapitre général de la Fraternité, qui se tiendra cet été…
Mgr : Ah, oui.
S.H. : On observe une certaine confusion parmi les fidèles sur le point de savoir si quelqu’un ayant été Supérieur général dans le passé peut être élu à nouveau. Par exemple, l’abbé Schmidberger, qui a été Supérieur général, peut-il être à nouveau élu ?
Mgr : Oui, il n’y a pas de restriction.
S.H. : L’abbé Schmidberger a été Supérieur général après votre consécration, de sorte qu’en tant qu’évêque, vous deviez rendre compte à un prêtre. Je crois que dans l’esprit des fidèles, dès lors que Mgr Fellay a été élu au poste en question, celui-ci doit continuer d’être occupé par un évêque, et non par un simple prêtre. Qu’en pensez-vous ? Soyons plus précis, sans pour autant vous demander de formuler une prévision : est-il probable que la pratique consistant à placer un évêque à la tête de la Fraternité continuera ?
Mgr : Non, ce n’est pas normal. En fait, le plus normal serait que ce poste aille à un simple prêtre.
H.L. : Pourquoi, Monseigneur ?
Mgr : Parce que c’est dans notre constitution, et parce que l’existence d’évêques au sein de notre Fraternité représente quelque chose d’extraordinaire, d’imprévu, parce qu’elle n’est pas normale. C’est pourquoi je pense qu’il serait très normal pour un simple prêtre d’être Supérieur général, et je serais prêt à lui obéir, à me soumettre à lui.
S.H. : C’est donc une situation extraordinaire, pour la Fraternité, d’avoir des évêques, mais pouvez-vous envisager de devoir rendre compte à un prêtre, même à un évêque, quand bien même vous l’avez fait avec l’abbé Schmidberger ? Je m’explique : les constitutions n’empêchent pas un ancien Supérieur général d’être réélu ?
Mgr : Non.
S.H. : Par conséquent, Mgr Fellay pourrait être réélu.
Mgr : Oui.
S.H. : Monseigneur, on ne vous entend guère ici, et c’est en grande partie pour cette raison que je souhaitais vous interviewer. Étant anglophones, nous entendons très souvent Mgr Williamson, et assez souvent Mgr Fellay, mais Mgr Alfonso de Galarreta ne parle pas l’anglais. Les trublions ne manquent pas : sur des sites Internet, principalement, ils citent des «sources intérieures» réputées anonymes qui, bien souvent, ne savent rien et cherchent à diviser la Fraternité en parlant d’un prétendu «schisme au sein de la Fraternité» pour le cas (probable selon elles) où Mgr Fellay conclurait un «marché» avec Rome. Ma question est la suivante : lorsque Mgr Fellay prend la parole ou fait une déclaration, peut-on dire qu’il le fait «au nom des évêque » de la Fraternité ?
Mgr : Non. Je dirais qu’il s’exprime en tant que Supérieur général de la Fraternité, tout bonnement.
S.H. : Donc, en tant qu’évêques, votre rôle principal consiste…
Mgr : Seulement à donner les confirmations et à faire les ordinations. Tel est le rôle que Mgr Lefebvre nous a assigné. Aussi ne jouons-nous pas, en soi, un «rôle directeur» dans la Fraternité ; nous sommes simplement soumis au Supérieur général.
S.H. : En somme, s’il y avait une restauration au sein de l’Église, il n’y aurait plus besoin d’évêques de la Fraternité ?
Mgr : S’il y avait des évêques catholiques occupant des sièges catholiques, non, il n’y aurait plus besoin de nous.
S.H. : Monseigneur, The Angelus a reproduit dernièrement une étude du Père Pierre-Marie, O.P. concluant à la validité du nouveau rite de consécration des évêques, question importante puisque l’actuel Saint-Père est le premier pape à avoir été consacré évêque dans le nouveau rite. On trouve sur l’Internet des déclarations selon lesquelles Mgr Lefebvre doutait de la validité des nouveaux rites de consécration épiscopale…
Mgr : Non, non, non. Il n’a jamais parlé de cela, jamais. Non, non.
S.H. : Alors, on n’a jamais mis en question, au sein de la Fraternité, la validité de tel ou tel nouveau sacrement ?
Mgr : Mgr Lefebvre n’a jamais traité la validité des consécrations épiscopales.
S.H. : Non ? Et à propos de l’épiscopat ?
Mgr : Je ne sais ce qu’il pensait de cette question. Il ne connaissait pas le nouveau rite de consécration épiscopale. Il n’avait rien étudié ni lu à ce sujet. Car lui-même se bornait à continuer d’appliquer l’ancien rite.
S.H. : Je pense avoir une autre question à vous poser : où la Fraternité croît-elle le plus vite dans le monde ?
Mgr : L’essentiel est que nous rétablissions les familles catholiques, les écoles catholiques : là est le grand moyen de croissance de l’Église catholique. Du reste, beaucoup de nos prêtres sont issus de nos écoles. Nous insistons auprès de nos fidèles pour qu’ils inscrivent leurs enfants dans des écoles catholiques.
S.H. : Eh bien, j’en ai fini avec mes questions, Monseigneur. Mais en écrivant cela, je tiens à m’assurer que je vous cite fidèlement ; c’est pourquoi je vous en communiquerai une transcription avant que vous ne vous rendiez à Veneta…
Mgr : Non, non, dans vos questions, vous n’avez pas touché à l’essentiel ; je les trouve pertinentes, mais elles n’ont rien abordé d’essentiel…
S.H. : Qu’y a-t-il d’autre, Monseigneur ?
Mgr : Eh bien, par exemple, que ce pape a professé des hérésies dans le passé ! Il a professé des hérésies ! Je ne sais s’il les professe encore.
S.H. : Lorsque vous dites «a professé», voulez-vous dire qu’il le fait encore ?
Mgr : Non, mais il n’a jamais rétracté ses erreurs.
S.H. : Mais, Monseigneur, s’il ne les a pas rétractées, y souscrit-il toujours ? De quoi parlez-vous ? Pouvez-vous être plus précis ? Je dois reconnaître que je ne suis pas théologien et que je n’ai lu aucun de ses ouvrages. Voulez-vous parler de l’époque où il était cardinal ?
Mgr : Je veux parler de celle où il était prêtre. En tant que théologien, il a professé des hérésies, il a publié un ouvrage empli d’hérésies.
S.H. : Monseigneur, j’ai besoin que vous soyez plus précis, afin que nous puissions approfondir la question.
Mgr : Oui, bien sûr. Il a publié un livre intitulé Introduction au christianisme ; c’était en 1968. Or, ce livre est bourré d’hérésies, notamment la négation du dogme de la Rédemption.
S.H. : Dans quel sens, Monseigneur ?
Mgr : Il y dit que le Christ n’a pas satisfait pour nos péchés, qu’Il ne les a pas rachetés, que Lui, Jésus-Christ, en mourant sur la Croix, n’a pas satisfait pour nos péchés. Cet ouvrage nie le rachat des péchés par le Christ.
S.H. : Je ne suis pas certain de comprendre…
Mgr : Il nie la nécessité de la satisfaction.
S.H. : On dirait du Luther.
Mgr : Non, cela va beaucoup plus loin que Luther. Luther admet le sacrifice, la satisfaction par le Christ. C’est pire que du Luther, bien pire.
S.H. : Monseigneur, je dois reprendre cette question au début : voulez-vous dire que Benoît XVI est un hérétique ?
Mgr : Non, mais il n’a jamais rétracté ces propos.
S.H. : Eh bien, dans ce cas, que diriez-vous, Monseigneur ? Diriez-vous qu’il est «suspect», «discutable», «favorable à l’hérésie» ?
Mgr : Non, c’est clair. Mais je peux le citer. Il rejette «une présentation extrêmement rudimentaire de la théologie de la satisfaction (perçue comme) un mécanisme de rétablissement d’un droit lésé. Ce serait la manière dont la justice de Dieu, infiniment offensée, aurait été apaisée par une satisfaction infinie… certains textes de dévotion semblent laisser entendre que la foi chrétienne en la Croix comprend Dieu comme un Dieu dont la justice inexorable exigeait un sacrifice humain, le sacrifice de Son propre Fils. Et nous fuyons avec horreur une justice dont la noire colère ôte toute crédibilité au message d’amour» (traduit de la version allemande, pages 232 et 233).
S.H. : Quelles autres hérésies a-t-il émises, Monseigneur ?
Mgr : Beaucoup d’autres. Beaucoup d’autres. Il a jeté des doutes sur la divinité du Christ, sur le dogme de l’Incarnation…
S.H. : Ce ne peut être vrai…
Mgr : C’est tout ce qu’il y a de vrai. Il fait une relecture, une réinterprétation de tous les dogmes de l’Église. C’est cela même. C’est ce qu’il a appelé l’«herméneutique» dans son discours du 22 décembre 2005…
S.H. : Cette herméneutique est connue aussi sous l’appellation «tradition vivante»… Elle consiste à interpréter les doctrines existantes sous de nouveaux éclairages…
Mgr : Oui, exactement. Selon la nouvelle philosophie, la philosophie idéaliste de Kant.
S.H. : Ce sont là de très fortes paroles, Monseigneur ; pourtant, la Fraternité n’est pas sédévacantiste…
Mgr : Non, non, non, non. Il est le pape…
S.H. : Mais ce sont de fortes paroles…
Mgr : Ecclesia supplet. L’Église supplée. C’est même inscrit dans le code de droit canon : «en cas de doute, l’Église supplée au pouvoir exécutif». Il est le pape. Ecclesia supplet. Mais nous devons savoir qu’il a professé des hérésies.
S.H. : Monseigneur… Je dois souligner que l’article que je suis en train d’écrire est largement diffusé dans le monde anglophone… Sont-ce là les mots que vous souhaitez employer ?
Mgr : Oui. Oui. J’ai lu Joseph Ratzinger, et j’ai lu ses ouvrages. Je puis vous assurer que c’est vrai.
S.H. : Bien, alors j’aimerais savoir ce que Mgr Lefebvre pensait de lui lorsqu’il était le Cardinal Ratzinger ?
Mgr : Il ne l’avait pas lu. Il ne l’a jamais lu. Il voyait en lui un négociateur, un homme intelligent et honnête prenant des initiatives dangereuses à notre endroit.
S.H. : Ce thème de discussion que vous avez introduit, Monseigneur, nous ramène au Protocole de 1988, dont l’une des points dit que la Fraternité interprétera le Concile «à la lumière de la Tradition». Est-ce encore le cas aujourd’hui ?
Mgr : Absolument pas. Ce n’est plus le cas.
S.H. : Alors, que dire ? Que le Concile doit être revu, entièrement révisé ?
Mgr : Non, car nous le lirions à la lumière de la «nouvelle philosophie». Oui, c’est là la vraie «lumière» (rires). C’est la seule «lumière» à laquelle on puisse le lire.
S.H. : Vous diriez donc que la Fraternité lit le Concile à la lumière de la «nouvelle philosophie» ?
Mgr : Exactement.
S.H. : Et, par conséquent, le rejette ?
Mgr : C’est la seule manière dont on puisse le lire. On ne peut pas lire Vatican II comme une œuvre catholique. Il repose sur la philosophie d’Emmanuel Kant.
S.H. : L’idéalisme ?
Mgr : Exactement, l’idéalisme allemand.
S.H. : Alors, si vous dites que la bonne manière d’interpréter le Concile est de le faire à la lumière de la «nouvelle philosophie », comment l’Église doit-elle traiter ce concile ?
Mgr : Je dirais qu’un jour, l’Église devra effacer ce concile. Elle n’en parlera plus. Elle devra l’oublier. L’Église se montrera sage si elle oublie ce concile.
S.H. : Je vous relis mes dernières notes : L’Église doit effacer ce concile, ne plus en parler, l’oublier.
Mgr : L’oublier, oui. En faire table rase (tabula rasa). Ah, vous allez devoir m’excuser, Stephen, je dois aller entendre des confessions avant la Messe. Veuillez me pardonner.
S.H. : Monseigneur, ce fut un grand plaisir, à la fois intéressant et surprenant.
Mgr : Ce fut un plaisir pour moi aussi.
* * *
Voilà donc ce qu’il en est. Ce sont là quelques-unes des paroles les plus fortes que j’aie jamais entendues d’un évêque de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X. Je n’ai aucun commentaire à y ajouter, si ce n’est que Monseigneur Tissier de Mallerais s’est exprimé avec beaucoup de calme et de clarté, et il m’a semblé intéressant qu’il m’eût empêché de mettre fin à l’interview parce que selon lui, il y avait des questions importantes que je n’avais pas posées. Je me félicite de l’occasion que Michael Matt m’a donnée de conduire cette interview.
J’ai parlé du fond de l’interview avec le Dr Tom Droleskey, qui a étudié de son côté certains écrits de l’abbé Ratzinger, futur Benoît XVI, et qui m’a communiqué cette citation supplémentaire de l’intéressé :
« La dévotion eucharistique que l’on remarque dans la visite silencieuse du fidèle à l’église ne doit pas être perçue comme une conversation avec Dieu. Cela signifierait, en effet, que Dieu est présent à cet endroit et de manière confinée. Justifier une telle assertion dénote un manque de compréhension des mystères christologiques liés à la notion même de Dieu. Cela répugne à la pensée sérieuse de l’homme qui connaît l’omniprésence de Dieu. Aller à l’église au motif qu’on peut y rendre visite à Dieu qui y est présent est un acte insensé que l’homme moderne rejette à juste titre». (Die Sakramentale Begrundung Christlicher Existenz 1966, Kyrios Publishing, Freising-Meitingen-Germany).
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